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Le recours à la visio-conférence pénale : les dangers d’une justice de poche

Le 27 janvier 2025
Le recours à la visio-conférence pénale : les dangers d’une justice de poche
Avec la loi du 15 novembre 2001 qui a introduit pour la première fois en droit français la possibilité de recourir à la visioconférence en matière pénale, c’est une véritable révolution qui s’est imposée dans les prétoires.

A compter de cette date, le Code de procédure pénale a en effet acté la possibilité qu’un procès puisse se dérouler en France hors la présence physique du justiciable devant son juge.

Depuis lors, la volonté des ministres de la Justice successifs et, à leur suite, de nombre de magistrats, est demeurée constante : étendre le plus largement possible ce nouveau mode d’organisation des audiences.

Il est vrai que la tentation est grande pour les décideurs judiciaires : à une époque où crises sociales et crises économiques se conjuguent pour démultiplier les occasions de recours à l’institution judiciaire, celle-ci, engorgée jusqu’à l’asphyxie, cherche par tous les moyens à faire face à la masse croissante de contentieux pénal.

Et c’est ainsi que la Justice des grands principes fondateurs, centrée sur le respect des droits de l’homme et du premier d’entre eux, le droit au procès équitable, cède chaque jour un peu plus la place à une justice gestionnaire, dont l’obsession est devenue celle du chef d’entreprise : comment gérer les flux et les stocks ? Comment rentabiliser, optimiser, et  si possible performer davantage ?

Insensiblement d’abord, mais de manière de plus en plus assumée désormais, Voltaire et Beccaria s’inclinent devant Ford et Emerson. C’est maintenant de manière revendiquée que le taylorisme judiciaire fait de l’ombre aux Lumières …

Dans ce qui restera l’une de ses dernières circulaires, l’ancien Garde des Sceaux Eric Dupont-Moretti, qui fut pourtant dans une autre vie un défenseur acharné d’une Justice jalouse du respect de ses valeurs fondamentales, a ainsi vanté, en usant d’une langue digne d’un jeune diplômé d’HEC « l’intérêt certain » de la visio-conférence « pour améliorer la sécurité, la rapidité et la fluidité de la chaîne pénale », appelant à son « renforcement » et invitant pour ce faire les procureurs français à identifier dans leurs juridictions respectives « les obstacles pratiques constituant des freins à un tel recours mais également les leviers susceptibles d’être mobilisés pour y remédier ». L’objectif ouvertement affiché par le futur ex ministre était clair : « Le recours à la visioconférence doit s’inscrire durablement au cœur des pratiques juridictionnelles » (Circulaire CRIM 2024 – 11 / E1 - 02/08/2024 du 1er août 2024 relative au recours à la visioconférence en matière pénale)

L’inquiétude que suscite un tel discours est légitime, d’autant qu’il s’accompagne de la mise en œuvre des moyens nécessaires à son application.

Ce n’est nullement nier la nécessité pour l’institution judiciaire de se moderniser, de vivre avec son temps pour faire face aux défis qu’elle doit affronter, que de souligner combien l’évolution ainsi observée depuis un quart de siècle et confortée par cette récente circulaire, soulève la question capitale du devenir du procès pénal.

Car, à mesure que les barrières sautent et que les possibilités de recours à la visio-conférence en matière pénale se multiplient, y compris en l’absence d’accord du mis en cause et de son avocat, c’est le spectre d’un procès mécanisé qui prend forme. Un procès dans lequel la relation humaine cardinale entre le juge et l’accusé s’étiole, désincarnée par la machine qui lui sert d’intermédiaire dérisoire, de surcroît dans des conditions de technique visuelle et sonore le plus souvent approximatives.

Prenons garde à nous habituer à ces procès virtuels, où celui qui est jugé est réduit à une image miniaturisée sur un mauvais écran de télévision, et qui ne voit de ses juges qu’une image de même nature, au format de poche.

En réduisant le procès à une simple caricature, la visio-conférence pourrait bien emporter avec elle la notion même de Justice.